Développement durable ?
On appelle oxymore une figure de style consistant à juxtaposer deux mots contradictoires, comme « Cette obscure clarté qui tombe des étoiles » (Corneille Le Cid 1636). Ce procédé autrefois réservé aux poètes pour exprimer l'inexprimable, est désormais régulièrement utilisé lorsqu'on veut nous faire prendre des vessies pour des lanternes et nous faire croire à l'impossible. Pensez à un capitalisme moral, une mondialisation à visage humain, une guerre propre… ! Le « développement durable » relève de cet artifice.
Ça ne tient pas debout mais c’est justement le concept insensé et parfaitement équivoque de l'expression qui lui vaut son succès; certains retenant surtout le premier mot " développement ", entendant par là que le développement tel que mené jusqu'à maintenant doit se poursuivre et s'amplifier ; et, de plus, durablement (cinq ans, cent ans, mille ans ?) ; d'autres percevant dans l'adjectif " durable " la remise en cause des excès du développement actuel, à savoir, l'épuisement des ressources naturelles, la pollution, les émissions incontrôlées de gaz à effet de serre, le déséquilibre nord/sud...
Officiellement, il s’agirait d’un développement qui réponde aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs.
Cette expression repose sur le dogme de la croissance continue et infinie sur lequel s’est fondée la société de la technique ; comme si dans un espace fini, le développement pouvait être illimité. L’impossibilité est déjà démontrée par la connaissance scientifique, la discussion ne porte que sur l’échéance ; et les palliatifs qui pourraient, si on les appliquait fermement, la reculer légèrement.
Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994), professeur émérite à l’Université de Vanderbilt (Tenessee), économiste roumain dont le nom est associé au concept de “décroissance”, a démontré que sur notre planète où 20 % de la population consomme 80 % des ressources naturelles, même une croissance nulle ne suffirait pas à juguler l’épuisement de la Terre. Pour ces 20 % les plus riches, il n’est pas de développement qui puisse être durable : le concept même de développement doit être revu. De gré ou de force, il faudra bien se résoudre à amorcer une “décroissance économique”. Dans le meilleur des cas, si elle est organisée, elle pourrait être soutenable, conviviale sinon elle sera violente…
Le “Grenelle de l’environnement” aurait pu permettre d’engager ce virage salutaire. Mais, dans cet ancien camp militaire où on exécutait les gens après la Révolution, les riches au pouvoir ont pris l’habitude de rouler dans la farine les pauvres qui les ont élus. C’est là qu’en 1796 fut arrêté, avant d’être guillotiné, Gracchus Babeuf (lui qui ayant perçu l’avènement du capitalisme, un système « à l’aide duquel on parvient à faire remuer une multitude de bras sans que ceux qui les remuent en retirent le fruit », défendait la nécessité d’une insurrection pacifiste pour instaurer une société plus juste). C’est encore là qu’en 1968, les rêves des prolos insurgés, dévoyés par leurs syndicats, ont été exécutés par la bourgeoisie. C’est toujours là qu’en 2007, les écolos oeuvrant pour la protection de l’environnement, se sont laissés berner par les libéraux (aux commandes ou prétendument dans l’opposition), qui ne les ont invités que pour participer au nettoyage du champ de bataille. D’ailleurs, que cela concerne la gestion et le partage des ressources de la Terre ou la préservation de l’environnement, il ne fallait pas rêver, pour ceux qui nous gouvernent l’interprétation de « développement durable » ne laisse planer aucun doute :
« Le développement durable, c'est pas moins de croissance, c'est plus de croissance !»
Nicolas Sarkozy, le 20 mai 2008 à Orléans.
Puisqu’il faut bien appeler un chat, un chat, chacun peut réfléchir et s’interroger sur les conséquences de l’utilisation de cette antinomie, et commencer par ne plus l’employer pour lutter, au moins, contre la pollution sémantique.